Accueil A la une Diaspora : retourner au pays, investir, un chemin à baliser

Diaspora : retourner au pays, investir, un chemin à baliser

REPORTAGE. Dakar a abrité un salon autour du thème « Entreprendre avec la diaspora ». L’occasion de prendre conscience des environnements que les repats doivent domestiquer.

Après douze ans aux USA où elle a créé son cabinet de consulting ANW Consulting juste à la fin de ses études, Marguerite Corréa confie que depuis toujours elle « rêve de rentrer au Sénégal ». « Le seul endroit où je me sens vraiment chez moi », dit-elle. Comme bien des membres de la diaspora sénégalaise le font depuis un certain nombre d’années, elle a nourri l’ambition de rentrer ou du moins revenir au Sénégal pour y investir et développer des projets professionnels. « C’est une immigration dans l’autre sens. Les nouvelles générations qui sont nées à l’étranger ont plus de libertés et de confort. Beaucoup veulent découvrir le pays de leurs parents et profiter des opportunités. Elles sont aussi influencées et attirées par un nouveau discours sur l’Afrique diffusé sur les réseaux sociaux et les médias », indique la jeune et dynamique Sénégalaise de la diaspora. Au constat de ce phénomène, Marguerite Corréa a organisé en février dernier à Dakar un premier salon international sur le thème « Entreprendre avec la diaspora ». « C’est une façon de rassembler et regrouper les enfants du continent qui ont le même projet de retour. A plusieurs, cela donne du courage et nous encourage à oser investir sur le continent à travers l’entreprenariat », poursuit-elle.

Des opportunités de travail

Le retour au Sénégal des membres de la diaspora, notamment des « cerveaux », est encouragé par les nombreuses opportunités d’investissement et d’innovations au plan local. Si la « fuite des cerveaux » ne peut être niée, le phénomène du « retour des cerveaux » existe aussi bel et bien. Conscients des opportunités et des nouveaux marchés qui émergent dans leur pays d’origine, les travailleurs qualifiés – qui constituent les diasporas économiques – sont nombreux à revenir investir et entreprendre dans leur pays d’origine. Leurs contributions au développement sont très variées : cela peut être des transferts de compétences, de savoir-faire et de technologies, ou bien une contribution au développement local, une aide aux dépenses des ménages et à l’éducation, etc.

La diaspora, en se positionnant en tant qu’investisseur, encourage l’émergence de nouvelles industries ainsi que des innovations. « Il y a beaucoup d’opportunités et de choses à améliorer, car le continent est en construction. Le potentiel est énorme dans tous les domaines. L’Afrique a besoin de sa diaspora. J’invite celle-ci à se positionner en Afrique et l’encourage à oser se lancer ; nous n’avons rien à perdre. Si on ne fait pas attention, l’Afrique se développera sans les Africains », assure Marguerite Corréa.

Thierno Lo, lui, n’a pas hésité à revenir au pays en 2015, après ses études supérieures, préférant renoncer à une proposition de stage à Paris pour créer à Dakar avec trois amis la start-up Volkeno, une entreprise numérique qui créer des produits et services numériques pour accompagner les acteurs économiques dans leurs projets digitaux. « Pour moi, c’était clair dès le départ que j’allais revenir au Sénégal et y faire carrière. Mes perspectives professionnelles et personnelles sont ici », explique le responsable des services de Volkeno qui ajoute : « Le but est de regrouper les forces et les compétences disponibles localement pour aider la diaspora à concrétiser ses projets. » Se rendant rapidement compte du manque de ressources humaines locales dans le domaine, les fondateurs ont lancé dès 2016 l’école Bakeli (« créateur » en lingala), un centre de compétences 100 % pratique qui offre des formations professionnelles dans le numérique.

Des investissements à faire

Si l’écosystème offre un large éventail de possibilités, les investissements sont aussi un atout non négligeable pour le développement du pays. « Un acte patriotique » pour Thierno Lo et un sentiment de participer à « l’évolution du pays » sont des éléments de motivation supplémentaire qui participent à la prise de décision de rentrer au pays des membres de la diaspora. C’est un lien affectif fort et un sentiment d’être acteur du changement qui sont également ressentis par Mame Kankou Traoré.

« Avec mon entreprise, je contribue au rayonnement du Sénégal en formant des jeunes et en créant des emplois. Cela donne une certaine fierté de contribuer à l’économie du pays. Avec une entreprise, on donne à quelques personnes l’opportunité de gagner leur vie par eux-mêmes, grâce à leur travail. L’impact est important sur les ménages et la société dans son ensemble », argumente la Franco-Sénégalaise qui a créé en 2021 au Sénégal la société Bâtiboom. L’entreprise accompagne les particuliers et les professionnels dans leurs investissements immobiliers au pays. « Quand j’ai voulu investir dans l’immobilier, je n’ai pas réussi à trouver l’appui dont j’avais besoin. J’ai donc pensé qu’il y avait quelque chose à créer. Nos clients sont aussi bien des locaux que des membres de la diaspora qui sont très en demande », dit-elle.

Des transferts financiers importants…

Avec plus de 600 000 Sénégalais recensés comme résidents à l’étranger (dont un grand nombre en Europe), près de 3,7 % de la population totale sénégalaise selon une estimation de 2015, on peut dire que la diaspora est importante à la fois sur lees plans démographique, politique et économique. Selon les chiffres d’une étude de Knomad (Global Knowledge Partnership on Migration and Development), les Sénégalais de l’extérieur ont transféré vers leur pays environ 1 493 milliards de francs CFA soit 2 276 millions d’euros en 2020. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont des piliers de l’économie nationale ert du financement du développement du pays. Les transferts de fonds de la diaspora sénégalaise représentent environ 10,5 % du PIB du Sénégal. Ils bénéficient à environ 25 % des ménages, particulièrement ceux installés dans des environnements ruraux. Depuis 2010, ces transferts sont en augmentation d’environ 6 % par an.

… mais pas à destination d’investissements

Malgré tout, ceux-ci alimentent peu les investissements sur le territoire. En 2017, l’essentiel (90,7 %) était destiné aux dépenses courantes des familles des émigrés, contre seulement 9,3 % consacrés à de l’investissement, principalement immobilier. « Les ménages ruraux, majoritairement analphabètes et avec une faible éducation financière, sont très peu familiers aux notions d’épargne et d’investissement. Cela explique que les transferts de fonds soient essentiellement pour la consommation, laissant ainsi les ménages dépendants pour subvenir à leurs besoins. Parfois, les sommes reçues sont injectées dans des activités génératrices de revenus (surtout le commerce et l’agriculture) mais, celles-ci étant informelles la plupart du temps, il est difficile d’avoir une traçabilité », renseigne un consultant ayant réalisé un rapport sur les transferts de fonds pour le compte d’un cabinet en stratégie.

L’éducation des populations, surtout rurales, pour adopter de nouveaux comportements financiers apparaît donc comme essentielle. « Mais l’État sénégalais s’attache surtout à supporter les initiatives entrepreneuriales au sein des populations sans pour autant faire le lien avec les transferts de fonds et leur potentiel pour l’investissement. C’est généralement les bailleurs de fonds, avec le soutien de l’État, qui travaillent sur cette question », appuie le rapport.

L’État prend progressivement sa part

Malgré tout, conscient que la diaspora est un acteur essentiel pour le développement économique du pays, l’État a instauré plusieurs initiatives via la mise en place d’une stratégie économique et sociale pour stimuler l’investissement de la diaspora et en faire un outil d’émergence du pays. Cette dynamique est en phase avec le Plan Sénégal émergent lancé en 2014. La Délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (DER/FJ) a ainsi mis en place en décembre 2021 un « Fonds diaspora » de 3 milliards de francs CFA alimenté par des bailleurs externes, des institutions de financement privées et des investisseurs de la diaspora afin de « dynamiser la contribution de la diaspora dans l’économie nationale ». « Il s’agit d’orienter cette épargne vers des secteurs porteurs de croissance et créateurs de richesse comme l’agriculture (élevage, pêche etc), l’artisanat, l’économie numérique ou encore les services. Notre vision est de renforcer la contribution de la diaspora dans l’entreprenariat au Sénégal. Auparavant, il y avait quelques initiatives dans ce sens, mais pas de vraie promotion. Le président Macky Sall a la volonté de valoriser cette diaspora via la DER et appuie d’autres initiatives pour participer à la réalisation de l’ambition du Sénégal émergent », rapporte Zahra Barro, gestionnaire du Fonds Diaspora de la DER/FJ.

Parmi les programmes mis en place par le gouvernement, il y a le Fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’extérieur (FAISE). Créé en juin 2008, il offre un accompagnement technique et financier aux Sénégalais de l’extérieur dans leurs investissements. Objectif à long terme : favoriser leur retour volontaire. La structure propose aussi d’accompagner l’entreprenariat des femmes de la diaspora via un fonds spécial pour la valorisation de leurs activités.

Un guichet unique destiné à la diaspora pour l’assistance et le conseil dans la création d’entreprise notamment a été créé à l’Agence de promotion des investissements et grands travaux (APIX). Également, un bureau d’accueil, d’orientation et de suivi (BAOS) des Sénégalais de l’extérieur est sorti de terre en région ainsi que le programme d’appui aux initiatives de solidarité pour le développement (PAISD), un dispositif de mobilisation et de soutien aux actions des solidarités aux initiatives économiques de la diaspora au profit du Sénégal. Ce sont là autant d’outils pour encourager la diaspora à se lancer dans l’investissement au Sénégal.

Une importante prise de conscience est faite…

Le rapport DiafrikInvest (sept 2020) affirmait ainsi que les gouvernements avaient une forte responsabilité dans le lancement et le maintien des initiatives encourageant la diaspora à s’engager localement. Achats de terrain, construction de logement, création d’entreprise, achat d’équipements professionnels, etc., la forme des investissements varie, mais toutes ont des effets positifs sur l’activité économique du pays en plus de doper sa croissance. Dans les zones rurales, les projets d’infrastructures collectives comme les écoles ou les hôpitaux financés par la diaspora participent à l’amélioration des conditions de vie des populations, laquelle se répercute sur le développement du pays. Mieux mobilisée et accompagnée, la diaspora pourrait contribuer au financement de gros investissements comme la construction de routes notamment.

… même si de nombreux obstacles subsistent

Bien que l’État mette en œuvre une politique d’attractivité pour favoriser cette dynamique, la réalité reste complexe pour les membres de la diaspora souhaitant investir au Sénégal. D’après Zahra Ba de la DER/FJ, « les Sénégalais de la diaspora connaissent peu le marché sénégalais et n’ont pas assez d’informations ». L’accès à la propriété et au foncier constitue également une entrave, une difficulté renforcée par l’explosion des prix de l’immobilier à Dakar.

Pour Marguerite Corréa, les barrières sont nombreuses : institutionnelles, sociales, économiques, financières. « Avant tout, les difficultés sont psychologiques. Même la famille ne veut pas que tu reviennes et ne comprend pas ton choix de quitter une vie confortable, un emploi stable. Ensuite, il y a la création de l’entreprise qui est un parcours du combattant et demande de l’énergie. En étant à distance et pas toujours disponible, j’ai mis 3 mois à créer mon entreprise ici ! » souligne-t-elle. « Le Sénégal est l’un des pays les plus difficiles d’Afrique de l’Ouest, car l’administration est lourde et rigide », indique-t-elle. « Au Togo, par exemple, on peut créer son entreprise facilement en ligne », s’enthousiasme cette spécialiste dans l’investissement de capitaux étrangers vers la sous-région.

Autre point faible du pays, et pas des moindres : l’accès au financement. « Il est compliqué même si cela s’est amélioré avec le fonds de la DER. L’accès au crédit reste difficile au Sénégal, l‘entrepreunariat n’étant pas encore ancré dans le système bancaire. Les compétences et ressources humaines sont là, c’est l’accompagnement financier et administratif qui ont besoin d’être améliorés », précise Thierno Lo. L’accès difficile au financement pour les entrepreneurs, les faiblesses infrastructurelles, la corruption ou les lourdeurs administratives demeurent donc des défis importants auxquels sont confrontés les futurs investisseurs.

Des recommandations pour améliorer la situation

Parmi ses recommandations, DiafrikInvest a souligné l’importance de développer les réseaux d’affaires, un outil précieux pour les membres de la diaspora de retour au Sénégal ou bien juste désireux d’investir sans s’installer. « C’est important d’avoir un réseau et des mentors dans le milieu pour échanger et avoir des retours d’expérience de professionnels. Il faut tisser son réseau pour réussir son projet et pouvoir résoudre les problèmes rencontrés », insiste Thierno Lo.

Quant à Mame Kankou Traoré, elle interroge tout ce qu’il faut régler avant de quitter Paris et de venir s’installer au Sénégal. En dehors de préoccupations financières et familiales, la mère de famille veut être fixée sur un certain nombre de points avant de sauter le pas. « Il faut s’adapter au mode de vie local d’un point de vue personnel mais aussi professionnel, car la culture du travail est très différente ! » dit-elle en pensant notamment au rapport au temps, bien différent de celui de l’Europe. Il s’agit là d’une adaptation pas toujours évidente malgré les envies. « Certains se rendent compte que l’Afrique n’est pas si accessible que ce qu’ils avaient imaginé et que les difficultés sont grandes. Cela explique que la majorité de ceux qui sont revenus sont repartis à un moment. Il y a un décalage entre l’idée que l’on a en tête et la réalité », note Marguerite Corréa.À L

Entre numérique et garantie, des opportunités d’avancer

Face à toutes ces contraintes, l’évolution du digital pourrait être un atout pour encourager les investissements de la diaspora à bien se répercuter dans le pays. Depuis 2019, la plateforme Entreprendre au Sénégal propose une cartographie des dispositifs existants, un bon moyen d’aiguiller même à distance et d’informer sur les pratiques locales ou encore de connaître les actualités relatives aux sujets entrepreneuriaux. « Des offres de services additionnels tels que l’épargne et le crédit proposés par les fournisseurs de transferts de fonds qui font habituellement l’envoi, la réception d’argent, l’achat de crédit téléphonique et le paiement marchand contribueraient à promouvoir la pratique de l’épargne au sein des ménages. Cela aboutirait ainsi à une meilleure capitalisation sur les transferts de fonds pour l’investissement et le développement socio-économique du pays », indique DiafrikInvest dans son rapport. C’est par exemple le cas de la plateforme en ligne anglaise SympliFi qui propose depuis peu au Sénégal un concept novateur en lien avec la société de microcrédit Baobab Sénégal. Elle permet aux Sénégalais d’accéder au crédit avec l’aide de leurs proches basés en Europe. Ceux-ci fournissent une garantie remboursable qui est conservée à l’étranger. Les membres de la famille ou amis en Europe aident ainsi leurs proches au Sénégal qui n’ont pas accès aux garanties traditionnelles pour obtenir un prêt à faible taux d’intérêt.

Le Point Afrique/ Clémence Cluzel

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