Les attentats du 11 septembre 2001 ont provoqué en un jour la mort de 2 977 personnes et engendré des milliers de blessés. A New York, la double attaque des tours jumelles fait à elle seule 2 753 morts. Il y a aussi les rescapés. Ces survivants qui ont eu la chance d’échapper à la tragédie mais qui, vingt ans plus tard, demeurent marqués par le traumatisme du drame. Rencontre avec l’un d’entre eux.
C’est la première fois qu’il raconte son 11-Septembre. Alan Harper avait 46 ans en 2001. Il travaillait à la Fuji Bank, l’une des plus grandes banques japonaises dont les locaux étaient abrités au 82e étage de la tour sud du World Trade Center. « C’était une journée comme une autre. Il faisait très beau. Je devais passer au bureau avant de participer à une conférence dans le quartier de Wall Street. » C’est un petit rien du quotidien qui lui sauve finalement la vie.
Ce New-Yorkais, en route pour le travail, s’aperçoit qu’il a oublié sa montre. Il fait marche arrière et remonte la récupérer au 16 étage de son appartement dans le nord de Manhattan ; puis retourne vers le métro sur Broadway, direction la pointe sud, station World Trade Center. Alan est alors en retard, il pensait arriver au bureau à 8h30.
À 8h46, le premier avion percute l’une des tours jumelles. À 9h03, un second s’encastre dans la deuxième tour. La double attaque est menée par dix terroristes d’al-Qaïda. « L’un de mes collègues, survivant, a vu l’avion approcher et entendu le bruit des moteurs quand il venait s’encastrer dans la tour », raconte Alan.
Un ciel d’été devenu noir
Mais lui est toujours dans le métro. « On a senti une secousse, un souffle. On n’a rien entendu mais on a senti quelque chose. Puis le conducteur a annoncé qu’il n’y aurait pas d’arrêt au World Trade Center mais à la station suivante. » À la sortie de Rector Street, à quelques centaines de mètres de sa sortie initialement prévue, l’économiste s’aperçoit que le ciel est sombre, que des papiers flottent partout dans l’air, que les klaxons des voitures tintent de toutes parts. « Les gens ne sont pas normaux, c’est quoi cette panique », se demande-t-il à ce moment-là. « Puis, j’ai levé la tête et j’ai vu la tour sud. Il y avait un trou béant à l’intérieur, des flammes partout. » Le deuxième avion l’a percutée juste au niveau des bureaux d’Alan. « Je me sentais paralysé, sans savoir ce que je devais faire », poursuit-il calmement mais après avoir repris son souffle, comme s’il revivait le drame.
Il se décide alors, avant toute chose, d’appeler sa femme pour la rassurer. Mais les portables ne fonctionnent plus et il doit faire la queue devant une cabine téléphonique où les gens se massent pour passer des appels. « Je lui ai dit que j’allais bien, quelque chose comme ça, mais que je craignais que tout le monde soit mort au bureau. » Il perd ce 11 septembre 19 de ses collègues et 4 visiteurs de la Fuji Bank.
Craignant que d’autres attaques surviennent, Alan Harper se met à marcher vers l’est pour s’éloigner des tours, sans trop savoir où aller. En déambulant dans les rues de Wall Street, il apprend l’attaque du Pentagone en regardant une télé dans une vitrine. Vers 10h, il entend une gigantesque déflagration. « Je n’ai jamais entendu quelque chose de pareil, jamais ressenti cela de toute ma vie. Un bruit métallique, très puissant. » La première tour est en train de s’effondrer sous ses yeux. « Les gens se sont mis à courir dans tous les sens. »
Effrayé, Alan s’engouffre alors dans le sous-sol d’un building où des dizaines de personnes se sont déjà réfugiées, près du New York Stock Exchange, la plus grande bourse du monde. Quelques minutes plus tard, lorsqu’il remonte à la surface, le ciel est noir. La seconde tour s’écroule, il est environ 10h30. « On avait l’impression que c’était la nuit », soupire-t-il. « Je me suis dit : “c’est Ben Laden qui est venu finir son travail” ». Parce qu’Alan Harper n’en est hélas pas à son premier attentat terroriste.
Double rescapé
Il a le destin d’un miraculé. Rescapé du 11-Septembre, il était également dans le World Trade Center en 1993. Cette année-là, une attaque terroriste à la voiture piégée se produit dans le parking des tours jumelles. Cet attentat, inspiré par al-Qaïda, est considéré comme la première attaque jihadiste de l’Histoire contre le monde occidental.
« En 1993, on a vu de la fumée monter. J’ai pensé qu’il fallait descendre à pieds mais une collègue m’en a dissuadé. C’était trop dangereux. On a alors attendu que les pompiers arrivent et nous donnent le feu vert pour sortir. » Ce 26 février 1993, Alan dévale les 82 étages de la tour sud à pied. Pendant plusieurs jours il avait du mal marcher.
Mais le 11 septembre 2001, Alan doit avancer. Après plusieurs heures et au bout d’une douzaine de kilomètres, il parvient à la 57e rue, dans le Midtown de Manhattan. Sa femme l’attend. Ils pensent à quitter New York puis renoncent à l’idée. Ensemble, ils achèvent ce jour effroyable en tête-à-tête au restaurant. « C’était fort, il y avait beaucoup de monde malgré l’air pollué par l’effondrement des tours. Les gens voulaient être solidaires. »
Vingt ans après, la cicatrice ne s’est toujours pas refermée, même si Alan avoue que le traumatisme s’atténue avec le temps, et cela « même si cette année sera un peu plus dure que les autres ». Alan avoue ressentir de la tristesse en racontant son 11-Septembre, « pourtant aussi, paradoxalement, ça fait du bien ».
Une histoire « extraordinaire »
Alan pose devant lui une carte de visite dans une petite pochette plastifiée, comme un précieux trésor. Son visage se baisse. « Cette histoire, je la considère comme extraordinaire. Oui, extraordinaire, c’est le mot. » En avril 2002, il reçoit un appel d’une dame vivant à Brooklyn. Elle lui dit avoir mis du temps à trouver son numéro de téléphone, puis qu’elle a hésité longuement à appeler. Alan était peut-être mort dans les attentats.
Peu de temps après le drame, elle avait trouvé la carte de visite professionnelle d’Alan devant son pas de porte. Un bout de carton envolé de son bureau du 82e étage lors de l’effondrement de la tour sud qui a parcouru une vingtaine de kilomètres. « Depuis vingt ans, nous sommes en contact, dit Alan visiblement très ému. Et ce week-end nous allons nous parler, c’est évident. »
RFI/Texte par :Anne Bernas