STRATÉGIE. La junte au pouvoir, qui rêve de faire du secteur minier un pilier du développement, fait pression sur les compagnies qui exploitent la bauxite.
Assiste-t-on à un véritable changement de paradigme dans l’approche de la gestion de l’exploitation de la bauxite par le pays d’Afrique de l’Ouest ? La Guinée possède, avec une estimation de 7,4 milliards de tonnes, les plus importantes réserves mondiales de bauxite, minerai entrant dans la fabrication de l’aluminium, essentiel par exemple dans les industries automobile ou alimentaire. Le pays en est aujourd’hui le deuxième producteur mondial derrière l’Australie et le premier fournisseur de la Chine, le plus important producteur d’aluminium au monde.
Cependant, les retombées de l’extraction de la bauxite ou des autres abondantes ressources naturelles, comme le fer, l’or et le diamant, restent notoirement disproportionnées. Les experts invoquent l’insuffisance des investissements dans le développement d’un tissu économique local, le manque d’infrastructures primordiales comme les routes, une corruption réputée endémique ou encore les lacunes des textes en vigueur.
Un boom indéniable, mais un partage encore inégalitaire des revenus
Malgré ses richesses naturelles, la Guinée reste un des pays les plus pauvres du monde. « En dépit du boom minier du secteur bauxitique, force est de constater que les revenus escomptés sont en deçà des attentes, vous et nous ne pouvons plus continuer à ce jeu de dupes qui perpétue une grande inégalité dans nos relations », a dit le colonel Doumbouya aux industriels, comme montre sur la page Facebook de la présidence la vidéo d’une rencontre qui a eu lieu vendredi 8 avril avec les représentants des compagnies. Le nouveau président de la Guinée avait invité les représentants d’une dizaine de compagnies, dont six au moins ont répondu présent.
Le chef de la junte au pouvoir en Guinée les a mises en demeure de construire sur place des usines de transformation de la bauxite pour un partage équitable des revenus. Un ultimatum a été fixé : les industriels ont jusqu’à fin mai pour soumettre des propositions et un calendrier pour la construction de raffineries de bauxite sur place.
Des compagnies comme la Société minière de Boké (SMB, consortium formé par l’armateur singapourien Winning Shipping, le producteur chinois d’aluminium Shandong Weiqiao, le groupe Yantaï Port), la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG, détenue à 49 % par l’État guinéen et à 51 % par Halco Mining Inc, un consortium formé par l’américain Alcoa, l’anglo-australien Rio Tinto-Alcan et Dadco Investments) et le russe Rusal, opèrent dans le secteur.À
Non-respect des conventions
Toutes ces compagnies étaient tenues par les conventions avec l’État guinéen, depuis 1983 pour l’une d’elles (CBG), de construire des raffineries, a dit le ministre des Mines, Moussa Magassouba. Le chinois TBEA est même censé construire une fonderie d’aluminium, a-t-il dit. Certaines de ces compagnies n’ont même pas produit d’étude de faisabilité, a-t-il déclaré.
Les conventions sont restées « lettre morte », a renchéri le colonel Doumbouya. Le non-respect de ces conventions est une « cause de nullité » et leur application est « non négociable » pour le gouvernement, a-t-il martelé. La transformation sur place du minerai « devient incontournable, c’est un impératif et sans délai ». Avant fin mai, « je vous demande de revenir auprès du ministre des Mines et de la Géologie avec des propositions, un projet, un chronogramme (calendrier) précis de construction de raffineries d’alumine en République de Guinée », a-t-il sommé. Toutes les matières premières entrant dans la fabrication devront également être produites sur place, a-t-il insisté.
Les compagnies qui enfreindraient les délais de construction de raffineries seraient sanctionnées de pénalités, a-t-il prévenu.
Le colonel Doumbouya, qui s’est depuis fait investir président, s’était employé à rassurer les opérateurs étrangers quand il avait pris le pouvoir par la force, en septembre 2021. Il avait assuré que la Guinée tiendrait les engagements qu’elle avait pris.
Mais, en mars, il avait ordonné la cessation de toute activité sur le site de l’immense gisement de fer de Simandou pour réclamer que les intérêts nationaux soient préservés par ses exploitants étrangers, dont la SMB et Rio Tinto. Un accord-cadre de 15 milliards de dollars a depuis été signé fin mars entre l’État guinéen et les exploitants pour un codéveloppement du gisement.
Par Le Point Afrique (Avec AFP)