Dans les années 1967 1968, Il était question du chanteur qui a la plus forte voix qu’on connait, et on parlait de James Brown et de Johny Halliday. En Guinée, on parlait de Sory Kandia Kouyaté et de Kadet Diawara. Mory Déli Kouyaté n’était pas encore né…

Avant le sujet du jour, on peut pousser un ouf de soulagement pour remercier « so Djak’s Music » de poster la vraie version de Beyla-deuxième version, et non « Ballakè premièret-version », sur la toile, pour la postérité. Des internautes demandent s’il y a une autre version. Oui ! La toute première toute version de ce Beyla est de 1966, son tempo est un peu plus rapide, ainsi que le solo d’introduction. La deuxième version de ce Beyla est de 1968, elle est en 2 exemplaires, une bonne, celle que « so djak’s Music » a postée, et une autre en brouillon, qui est également postée dans l’album. Les deux exemplaires ont été conservées par les techniciens de son de l’époque (Moussa Konaté Moïse et autres), les techniciens émérites de cette prise de son archaïques, mais qui n’a rien à envier à la netteté des enregistrements numériques actuels. Qu’ils en soient remerciés pour toujours, pour la postérité.

Actuellement, pour sa mélodie qui nous a charmés depuis l’enfance, des ensembles modernes d’Europe reprennent sous forme de musique classique nombre de compositions du Bembeya, avec Sékouba Bambino Diabaté, c’est dire que le Bembeya est immortelle, n’en déplaise à mon aîné Ansoumane Bangoura, qui les prenait pour des Kharémans, à leur arrivée à Conakry, dans un camion poussiéreux, en 1966. Le morceau ‘’Beyla’’, devenu ’’Ballakè ’’, a été mâché et remâché par le Bembeya jazz National, il a été joué, joué, et rejoué. C’est lui qui a été présenté au Festival de 1973, alors que certains s’attendaient à un morceau de show et de choc pour impressionner Franco et le TP OK jazz, qui a été fasciné au « Jardin de Guinée », en marge du festival. Les survivants du Bembeya doivent raconter ce face à face Bembeya-TP OK jazz.

Parlant des voix puissantes de la Guinée, les adolescents de la cité douane ont été témoins d’un incident, ou d’une altercation entre Kouyaté Sory Kandia et Kadet Diawara, à ‘’ l’Information’’.  Quand on parle, ici, de l’information, Boulbinet n’existait pas, à l’époque, la radio nationale était à l’actuel commissariat central, auparavant le siège de la Police urbaine de Conakry, dans les années 1970, une terreur. La PU était entre Nafaya et Printania. ‘’L’information’’ dont il est question était à l’emplacement actuel du Centre culturel franco-guinéen et de l’ancien ministère de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle. Les jeunes y accouraient, les matins, pour s’enquérir de la programmation du film du jour ; on projetait des films dans l’actuelle salle de spectacle du Centre Sory  Kandia  Kouyaté, du Centre Culturel franco-guinéen. Il n’y a que l’ameublement et le décor qui ont changé.

On a en mémoire l’image de Kadet Diawara rouge de colère, les cheveux ébouriffés, un foulard noué autour des reins, pagne et boubou retroussés, qui était amenée. A l’intérieur, d’autres gens entouraient Kandia, lui aussi était agité. Les deux meilleures voix de la Guinée en étaient venues aux mains ? Quelle était la raison ? Certains membres de l’ancien ensemble instrumental et choral de la

Voix de la Révolutions sont en vie.

Il y a un qui est à la traque des anciennes gloires. Il y a du grain à moudre, ici, chacun fait son petit métier…

Dans les années 1987-88, on fait un saut de 20 ans, j’écoutais de la musique ramenée d’Allemagne démocratique dans le bar ‘’La Colline’’, de Dabondy. Un type tapa à ma porte et se présenta comme l’adjudant-chef Mamadi Camara, co-pilote de l’hélicoptère présidentiel, et me dit que ma musique lui rappelle sa formation militaire, à Moscou, et il m’invita dans mon bar prendre un verre, on a fait connaissance, et il a amené tout son groupe. A l’époque, quelques Mig volaient encore. Je ne savais pas que le résidu du Kérogène non brûlé des Mig servait comme pétrole aux femmes. Vous-vous imaginez bien que le problème d’électricité n’était pas… Mamadi était comme responsable de la section carburant de l’Aviation militaire… A cause de la musique, il apporta 2 bidons de 20 litres de pétrole : « Qu’est-ce que c’est ? Je n’en veux pas ! »  –« Si tu n’en veux pas, ta femme en voudra… »

Ainsi, on a commencé à nouer les choses, il m’amenait chez lui, à la base aérienne de Conakry. Anomalie ou quoi, Mamadi avait sa propre maison construite à l’intérieur même de la base aérienne, au fond, à côté des champs de patate, où les maraîchères de Conakry entretenaient des planches de patate, en les arrosant avec de l’eau sale et gluante descendant des hauteurs de Yimbaya. Les vendeuses venaient chercher ces feuilles de patate pour le marché. Depuis, la sauce feuille de patate…

Ainsi, la base aérienne était comme chez moi, j’avais les entrées et sorties libres. J’y avais aussi rencontré un tas d’amis de banc, d’enfance, de football … parmi lesquels Samaké et Anti Sylla. Ce Anti-Sylla était sur la première liste du CNDD, des Dadis. Il a été rayé de la deuxième liste. Mamady m’amenait dans tous les coins qu’il fréquentait, me présentait à tout son entourage…

Il y a eu le face à face Ibro Diabaté-Mamady Cissoko-Doudou-Dada. L’adjudant-chef Mamady et son chef, le lieutenant Baba Sylla, le pilote, dans leur tenue de parade, me proposèrent d’aller au Palais. Ils ont eu des billets à 15 000fg, mais pas moyen d’accéder à la salle de spectacle. Les organisateurs avaient vendu plus de billets que de places. L’’entrée était fermée et obstruée par la foule compacte. On nous proposa de payer chacun 2000 fg pour qu’un ‘’déménageur’’ nous frayât un passage parmi la foule, mais côté parking officiel, vers la corniche. Baba tenait la ceinture du ‘’dégageur’’, je tenais la ceinture de Baba, Mamady fermait la colonne pour me couvrir. Dans la foule en remous, qui est là, en grand boubou blanc, un chapeau traditionnel tressé, au sommet pointu et autres choses comme garnitures et décorations, avec une canne, et en « ballotage défavorable » ? J’attirai l’attention de Mamady, qui interpella : « Nfa Mory ! », et il inséra entre lui et moi le ‘’Bélébéléba’’.

Tant bien que mal, on s’est bousculé, on s’est piétiné, on s’est marché sur les pieds, mais on a franchi l’entrée. C’est la seule fois que j’ai eu contact avec Mory Kouyaté, mais un contact on ne peut plus serré.

A l’entrée sud, entrée officielle, quelques vitres de la façade étaient brisées, les bérets rouges faisaient les fous avec leurs matraques en caoutchouc. J’étais découragé et proposai de revenir à la maison. Baba opiniâtre s’est opposé. Et vint une 4×4 blanche conduite par Rougui Baldé de Gris-Gris Production, Ibro Diabaté dormait à côté d’elle. Quelqu’un a dit en soussou : « Il est grillé, comme ça ! ». Mory nous a faussé compagnie sans un mot.

Dans la même formation qu’à l’entrée, on a avancé, à trois. Le béret rouge frappait le sol avec sa matraque ? Baba avançait à petits pas, le béret rouge reculait à petits pas, en frappant devant les pieds de Baba. Quelqu’un lui a crié, laisse-lès passer. Il a cédé en tendant la main, Baba lui a montré ses galons de lieutenant, il a fait « garde-débout ». Je lui mis un billet dans la main, il a fait le surpris, alors qu’il m’a reconnu de loin : « Eh ! c’est toi, ça ! » — « Fou-l’-camp ! ».

 Dans la salle, il faisait chaud, toutes les places assises étaient occupées. La magouille était claire et bien organisée : on nous proposa des places à 2000 fg. Quelques instants après, on a vu Mory Djéli monter les escaliers de la scène, au fond, avec son chapeau et sa canne. Mamady a dit : « El Mo, tu as vu ton gars ! ».

Quant au spectacle, un tirage au sort, à pile ou face, a été procédé pour désigner qui commencerait. ABD a lancé la pièce, si on me dit que ce n’était pas truqué, parce qu’il y a une technique pour commander que la pièce tombe sur une face ou l’autre, mais ce n’est pas le sujet du jour… c’est Mamady qui a gagné à commencer le spectacle. Mauvais sort… puisqu’à peine son dernier morceau terminé, la foule le chahutait, comme pressée de le voir débarrasser le plancher pour Ibro…

 ABD mourra l’année d’après à l’hôpital Ignace Deen, de Conakry, Mamady Cissoko le rejoindra quelques années, plus tard, Mory Djéli Deen Kouyaté vient de les rejoindre …

J’ai acheté toutes les cassettes de Mory. A chaque fois que j’étais avec des amis, j’en avais un tas qui venaient, les dimanches, l’animateur de la Colline, un petit sacripant, dès mon entrée, mettait le morceau « Bankhi kangni » de Ibro et celui de Mory Déli, dans lequel il chantait Sidibé de Wassaba, un chef d’œuvre.

Mory Djéli Denne Kouyaté, « le Bélébéléba de la musique guinéenne », c’est encore une formulation, une ‘’fabrique’’ de Ali Badara Diakité, qui l’appelait : l’homme à la poitrine de lion.

Pour moi, Mory Kouyaté, c’est toujours la bousculade au Palais du Peuple qui me revient à la mémoire. Mine de rien, cela fera bientôt 30 ans.

Avec la disparition du stentor, c’est la seule, l’unique et la vraie voix la plus puissante de la musique guinéenne qui s’en est allée. Dans combien de temps renaîtra une voix pareille en Guinée ?

Une pensée ardente pour lui. Dors en paix, « Bélébéléba ».

 

Moïse Sidibé

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