La 8e édition du Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique s’est clos mardi, après deux jours de discussions largement dominées par la progression jihadiste en Afrique de l’Ouest. France 24 revient sur les points clés évoqués lors de cette rencontre de deux jours dans la capitale sénégalaise.
Chefs d’États africains, partenaires internationaux, représentants de l’armée et de la société civile… Plusieurs centaines de participants étaient rassemblés les 24 et 25 octobre au Forum de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique.
Dominée cette année encore par la crise sécuritaire et démocratique en Afrique de l’Ouest, cette huitième édition a été l’occasion pour le dirigeant sénégalais Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine, d’appeler à une réforme des institutions internationales pour y inclure une représentation africaine mais également de clarifier la position du continent vis-à-vis de l’Ukraine.
Pour analyser les enjeux de ce sommet, France 24 s’est entretenu avec Niagalé Bagayoko, docteure en science politique et spécialiste des questions sécuritaires au Sahel, qui a participé au forum.
Lors du discours de clôture, la ministre des Affaires étrangère sénégalaise Aïssata Tall Sall a insisté sur le fait qu’il revenait en premier lieu aux États africains d’élaborer des solutions pour lutter contre le terrorisme sur leur sol et non aux partenaires internationaux. Cette approche marque-t-elle selon vous un tournant ?
Niagalé Bagayoko : Effectivement, la question de la souveraineté sécuritaire des États africains a été très largement mise en avant lors de ce forum. Ce discours s’inscrit dans une volonté, de plus en plus présente sur le continent, de se détacher des alliances traditionnelles héritées de la colonisation pour faire prévaloir en premier lieu les intérêts des États africains.
Il s’agit clairement d’une évolution de doctrine. Lors des premiers forums, les participants africains réclamaient un engagement des partenaires internationaux sur le continent. Aujourd’hui, ils leur demandent de se montrer solidaire en leur fournissant un appui logistique et financier.
Il ne s’agit pas de rompre avec les partenaires dont l’appui demeure très important dans le contexte actuel, notamment en Afrique de l’Ouest où la menace terroriste gagne du terrain. Mais les États africains affirment désormais leur volonté d’être à la manœuvre. Car entre-temps, les opérations extérieures, que ce soit celles de la France, de l’Europe ou bien de l’ONU ont montré leurs limites.
Macky Sall a plaidé pour une réforme de la gouvernance mondiale pour y associer l’Afrique et une “mise à jour” de la doctrine des opérations de maintien de la paix “intégrant pleinement la lutte contre le terrorisme”. Ces demandes vous paraissent-elles réalistes ?
Cette critique visant les opérations de maintien de la paix de l’ONU n’est pas nouvelle. De nombreux chefs d’États africains jugent cette force insuffisamment efficace et souhaiteraient que les casques bleus soient officiellement habilités à combattre les terroristes. Son efficacité sur le terrain est certes limitée, notamment en ce qui concerne la protection des civils, mais l’ONU n’est pas une armée de guerre. Les casques bleus sont mobilisés sur le terrain pour favoriser la mise en place des accords de paix. Pour ce faire, ils doivent maintenir une posture de neutralité et d’impartialité, incompatible avec la lutte antiterroriste.
Concernant la demande de Macky Sall d’intégrer l’Afrique parmi les membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU, l’idée me parait intéressante. Car cette instance a été mise en place au sortir de la deuxième guerre mondiale, soit quinze ans avant les indépendances africaines. Durant cette période, les Africains étaient donc associés aux puissances coloniales, ce qui n’a bien sûr plus lieu d’être. La difficulté majeure est qu’il faudrait aujourd’hui que les États africains parviennent à s’accorder sur le choix d’un représentant. Or des rivalités persistent entre les plus grandes puissances du continent telles que l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Égypte et l’Algérie.
Lors du forum, la secrétaire d’État française Chrysoula Zacharopoulou a plaidé pour la “solidarité” du continent avec les Européens face à l’offensive russe contre l’Ukraine. En réponse Macky sall a affirmé que l’Afrique n’était “pas contre l’Ukraine”. Comment a été perçue cet appel de la France ?
L’intervention de la secrétaire d’État a été perçue comme maladroite et malvenue. Le discours a été largement interprété comme une injonction à adopter la lecture européenne voir même par certains comme un reproche ou une condamnation.
Il faut dire que cette demande est difficilement audible à l’heure ou de plus en plus d’États africains revendiquent justement leur droit à multiplier les partenaires internationaux, sans prendre parti.
Je trouve néanmoins que la clarification de Macky Sall était nécessaire car il est vrai qu’on a parfois eu l’impression que l’Afrique ne percevait la guerre en Ukraine qu’à travers les intérêts africains. Les pays du continent peuvent faire le choix de ne pas soutenir activement l’Ukraine, mais ils se doivent, au minimum, d’exprimer de l’empathie pour la souffrance des populations.
Par ailleurs, le prétendu écart de traitement entre l’Ukraine et l’Afrique, évoqué à plusieurs reprises durant le forum, me parait très déplacé. Certes, l’UE a promis huit milliards d’euros à l’Ukraine, mais elle a également investi des milliards dans la lutte antiterroriste au Sahel. L’opération Barkhane coûtait à elle seule un milliard par an à la France. Pareil pour la force de l’ONU au Mali. Cette comparaison purement comptable n’est à mon sens pas justifiée.
France 24