DIPLOMATIE. Au nom de l’Union africaine, le président sénégalais a rencontré Vladimir Poutine à qui il a fait part de ses craintes sur l’impact de la guerre en Afrique.
« Je suis venu vous voir pour vous demander de prendre conscience que nos pays bien qu’éloignés du théâtre (de la guerre), sont victimes de cette crise sur le plan économique ». C’est le message qu’est venu délivrer à Vladimir Poutine le chef de l’État sénégalais Macky Sall, en sa qualité de président en exercice de l’Union africaine, en visite à Sotchi (sud de la Russie) ce vendredi 3 juin. Le dirigeant sénégalais, accompagné du président en exercice de la Commission de l’UA, a insisté – cent jours après le déclenchement de la guerre – auprès du président russe afin qu’il prenne « conscience » que l’Afrique est victime de son conflit en Ukraine, du fait du danger d’une grave crise alimentaire mondiale.
« Une grande partie de l’humanité est très attentive à ce qui se passe » en Ukraine, a déclaré Macky Sall, évoquant la nécessité de libérer les stocks de céréales et d’engrais.
Le cri d’alerte des pays africains
En effet, le conflit qui implique la Russie et l’Ukraine, deux superpuissances agricoles qui assuraient 30 % des exportations mondiales de blé, a immédiatement conduit à une flambée des cours, qui dépassent déjà ceux qui ont déclenché les Printemps arabes de 2011 et les émeutes de la faim de 2008. Or, les voyants sont au rouge, plus aucun navire ne sortant d’Ukraine – qui était aussi le quatrième exportateur de maïs, en passe de devenir le troisième exportateur mondial de blé, et assurait seule 50 % du commerce mondial de graines et d’huile de tournesol avant le conflit.
Alors que l’ONU craint « un ouragan de famines », essentiellement dans des pays africains qui importaient plus de la moitié de leur blé d’Ukraine ou de Russie, le Tchad, troisième pays le moins développé au monde, vient de déclarer « l’urgence alimentaire » en raison de la « détérioration constante de la situation nutritionnelle » du fait de la guerre en Ukraine, selon un décret rendu public jeudi 2 juin. Selon les Nations unies, en 2021, 5,5 millions de Tchadiens, soit plus du tiers de la population de ce pays enclavé d’Afrique centrale, avaient besoin d’une « aide humanitaire d’urgence ». Une situation qui s’est aggravée en raison de la guerre en Ukraine où la Russie a imposé un blocus sur les céréales ukrainiennes. Le décret, signé par le chef de la junte au pouvoir, Mahamat Idriss Déby Itno, fait état d’un « risque grandissant que les populations courent si aucune assistance humanitaire comprenant une aide alimentaire […] n’est apportée ».À LIRE
L’Afrique a évité de condamner la Russie
Le président Macky Sall a souligné que les États du continent pâtissaient des conséquences de l’offensive russe contre l’Ukraine alors que « la majorité des pays africains a évité de condamner la Russie » lors de deux votes de l’ONU, et qu’avec « l’Asie, le Moyen-Orient ainsi que l’Amérique latine, une bonne partie de l’humanité » a préféré se tenir à l’écart du conflit.
Il a également relevé que les tensions alimentaires provoquées par le conflit ont été aggravées par les sanctions occidentales qui affectent la chaîne logistique, commerciale et financière de la Russie. Il a donc appelé à ce que le secteur alimentaire soit « hors des sanctions » imposées par les Occidentaux en représailles de l’offensive militaire russe. « Les sanctions contre la Russie ont entraîné plus de gravité, nous n’avons plus accès aux céréales venant de Russie, mais surtout aux engrais », a-t-il affirmé, jugeant que cela crée « de sérieuses menaces sur la sécurité alimentaire du continent » a t-il dit assurant toutefois être « rassuré et très heureux des échanges » au bout de trois heures d’entretien avec Vladimir Poutine. Ajoutant avoir trouvé le président russe « engagé et conscient que la crise et les sanctions créent de sérieux problèmes aux économies faibles, comme les économies africaines ».
- Poutine a évoqué « plusieurs moyens de faciliter l’exportation, soit par le port d’Odessa », qui doit toutefois être déminé, soit « par le port de Marioupol », qui a récemment repris du service avec la conquête de la ville par Moscou, ou encore « par le Danube » ou « la Biélorussie », a indiqué le président Sall.
Avant la rencontre, le Kremlin avait indiqué que Vladimir Poutine voulait profiter de la venue du président Sall pour « donner une explication complète de sa vision de la situation concernant les céréales ukrainiennes ». Moscou affirme que le blocage n’est pas de sa faute ni le résultat de la présence de sa flotte de guerre au large de l’Ukraine, mais qu’il est le résultat du minage des ports ukrainiens par Kiev. En outre, les exportations russes de céréales sont largement bloquées à cause des sanctions logistiques et financières imposées par l’Occident pour punir la Russie pour le conflit en Ukraine. Pour éviter que la crise ne perdure, le Kremlin a réclamé la levée des sanctions et le déminage des ports ukrainiens, position dénoncée comme un « chantage » par Kiev. Lundi, Vladimir Poutine s’est toutefois dit prêt à travailler avec la Turquie pour l’instauration de « corridors maritimes » permettant la libre circulation des marchandises en mer Noire, y compris des « céréales provenant des ports ukrainiens ». Le président Sall ne compte pas pour autant s’arrêter là dans sa mission diplomatique, il a promis de se rendre également à Kiev, en Ukraine dans les prochaines semaines pour rencontrer Volodymyr Zelensky, a t-il annoncé samedi 4 juin, en marge du
Sommet extraordinaire de la Cédéao.
Par Le Point Afrique (Avec AFP)