TRIBUNE. Présidée cette année par le chef de l’État sénégalais Macky Sall, l’Union africaine devra, en la matière, dépasser ses querelles internes.
La lutte contre le réchauffement climatique est une occasion pour enfin faire émerger une seule voix au sein de l’Union africaine, dont M. Sall vient de prendre la présidence pour un an. Autrement dit, son mandat pourrait permettre de jeter les bases d’une transition énergétique continentale fondée sur l’équilibre entre vulnérabilité au changement climatique et nécessité de maintenir une croissance économique soutenue, indispensable aux pays africains.
Qu’en a-t-il été jusqu’à présent ?
L’Union africaine s’est, jusqu’à maintenant – et non sans difficultés –, attachée à concentrer ses efforts sur la prévention des conflits, la défense des droits humains ou encore la santé.
Dans la plupart de ces domaines, les divisions de l’Union africaine ont réduit la portée de ses décisions et entravé l’émergence d’une position commune sur des sujets pourtant cruciaux. Le poids des dissensions a ainsi écarté l’épineuse question du Sahara occidental de l’agenda du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine. Son refus de l’interventionnisme multiplie les silences sur certaines crises pourtant gravissimes, créant ainsi une impression d’« immobilisme » de facto.
Sur la question du réchauffement climatique, Jean Lévy est à l’unisson du président Macky Sall à la tête de l’Union africaine pour un an, lequel rappelle que l’Afrique est d’abord une victime avant d’être un coupable.© DR
De même, son manque de courage face à la multiplication des coups d’État amoindrit sa légitimité. Comment en effet justifier la suspension du Mali et de la Guinée des travaux de l’UA alors que ces deux États sont dirigés actuellement par des juntes militaires, ce qui est également le cas, même s’il n’y a eu aucune effusion de sang, du Tchad de Mahamat Idriss Déby, qui, lui, reste membre à part entière de l’UA ?
Étant partie des rares sujets sur lesquels un consensus pourrait être trouvé, la lutte contre le dérèglement climatique devrait permettre l’émergence d’une voix panafricaine commune. Le président Macky Sall devrait ainsi engager l’UA à résoudre cette délicate équation qui est de savoir comment le continent peut entamer sa mue énergétique sans grever son développement socio-économique ? En bref, poursuivre sa croissance tout en adoptant un « profil bas carbone ».À LIRE AUSS
L’Afrique fortement vulnérable au changement climatique
Selon les données les plus récentes, le continent africain n’a été, entre 1751 et 2017, responsable que de 3 % des émissions de CO2 à l’échelle internationale. Une part qui s’effondre, si l’on considère la seule Afrique subsaharienne amputée des géants nigérians et sud-africains, à 0,34 % des émissions globales.
Les études scientifiques, dont le très récent rapport multi-agences coordonné par l’Organisation météorologique mondiale, soulignent la très forte vulnérabilité du continent au réchauffement climatique et la gravité de ses conséquences sur les populations, notamment en termes d’agriculture et d’accès à l’eau. De plus, la défaillance du continent en infrastructures fragilise son adaptabilité au changement climatique.
Cette réalité n’efface cependant en rien l’aspiration – et l’obligation – des pays africains, dont les émissions de gaz à effet de serre suivent une tendance à la hausse concomitante au développement économique du continent, à réduire eux aussi leur impact carbone. L’universitaire Mark New, directeur de l’African Climate and Development Initiative à l’université de Cap Town, dresse ainsi un tableau prospectif prenant en compte l’évolution démographique du continent dans lequel, sans retournement de tendance, l’empreinte carbone par Africain augmentera jusqu’en 2050, avant de se stabiliser jusqu’en 2100. À LIRE AUSSI
« Engager une lutte commune mais différenciée »…
Le président Macky Sall s’est attaché ces derniers mois, et notamment à la tribune de l’ONU, à tracer les contours, alors même qu’il n’était pas encore président de l’Union africaine, d’un modèle africain de la transition énergétique, fondé sur une approche résolument transfrontières, sur les richesses naturelles propres au continent et sur les potentialités économiques qu’elle peut apporter. Son soutien appuyé à la Grande Muraille verte africaine, qui prévoit un reboisement d’un territoire allant du Sénégal jusqu’à Djibouti pour lutter contre la désertification tout en promettant 10 000 emplois locaux, en est ainsi un exemple éloquent, quoique symbolique.
Avant même de présider l’Union africaine, le chef de l’État sénégalais Macky Sall s’était attaché à tracer les contours d’un modèle africain de la transition énergétique, fondé sur une approche résolument transfrontière, sur les richesses naturelles propres au continent et sur les potentialités économiques qu’elle peut apporter.© MINASSE WONDIMU HAILU / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP
Mais c’est surtout sur les aspects les plus structurels de la lutte contre le réchauffement climatique que le président Macky Sall s’est fait le héraut de la lutte contre le réchauffement climatique comme il avait, avec succès, défendu la prolongation du moratoire sur les dettes africaines l’année passée. À LIRE AUSSI
En s’engageant en faveur d’une lutte « commune mais différenciée » contre le réchauffement climatique, il rappelle que l’Afrique est d’abord une victime du réchauffement avant d’être un coupable. Une posture qu’il adoptait déjà en 2018, en défendant l’application effective du protocole de Kyoto du principe de pollueur payeur, qui visait à faire comprendre aux grandes puissances la nécessité de prendre à leur charge les coûts qui vont peser sur l’Afrique. Une approche pertinente, si l’on considère que les pays riches n’ont pas suffisamment aidé le continent qui a le moins pollué, qui devrait le moins polluer demain et qui demeure le plus exposé au changement climatique. À LIRE AUSS
… dans une vraie logique partenariale…
Sa défense devant l’ONU d’accords commerciaux à bénéfices partagés, destinés à éviter les politiques de prédation sur les ressources naturelles du continent, s’annonce également comme l’un de ses principaux combats à la tête de l’Union africaine. Ensuite, son appel à la mobilisation des partenaires du continent et des bailleurs internationaux en faveur du Fonds pour l’électrification de l’Afrique, qu’il avait déjà réclamé pendant la COP21 à Paris, est un gage de bonne volonté pour faire émerger une Afrique partiellement libérée des énergies extractives. Des actions qui ont vocation à compléter celles déjà mises en œuvre, à l’échelle sous-régionale ou continentale, par la Cedeao.
… qui ne brûle pas les étapes
La question de la sortie des énergies extractives demeure fondamentale. Difficile de donner tort à Macky Sall quand il affirme devant la diaspora sénégalaise que la transition énergétique du continent ne pourra pas se faire sans le recours massif au gaz – dont l’Afrique est richement dotée – comme une énergie de transition vers un futur énergétique renouvelable et que le refus croissant des pays occidentaux de le financer pourrait devenir un obstacle à son développement socio-économique. D’autant que, en termes d’énergies renouvelables, le continent n’est pas en reste. Différents scénarios évoquent une part de 67 % d’énergies renouvelables dans le mix global d’Afrique subsaharienne d’ici à 2030.
L’émergence d’une voix commune africaine sur un enjeu aussi central que le climat rendrait l’Union africaine d’autant plus crédible pour se positionner sur ceux qu’elle peine à régler, comme la prévention des crises et la gestion des conflits. Le nouveau mandat du président Macky Sall est une occasion unique de faire entendre cette voix. Cette occasion unique, il s’agit de ne pas la rater.
Par Jean Levy*
* Jean Lévy est un ancien ambassadeur de France, un ancien conseiller de François Mitterrand. Il est enseignant à l’École des hautes études internationales et politiques (HEIP).