Dans un entretien accordé à notre rédaction, le président de l’Union des forces démocratiques (UFD) s’est exprimé sur le coup d’Etat intervenu en Guinée, le dimanche 5 septembre 2021. Pour Mamadou Baadiko BAH, cette situation était inévitable. Par ailleurs, l’ancien député invite les nouvelles autorités à ne pas tromper le peuple… Lisez !
Le président Alpha Condé a été renversé le 5 septembre 2021. Comment avez-vous appris la nouvelle ? Est-ce que c’était prévisible et quelle est aujourd’hui votre réaction ?
J’ai appris assez tôt dimanche matin qu’il y avait des tirs nourris du côté de la présidence à Kaloum et également sur la route menant du Carrefour Tumbo à Dixinn. On a appris par la suite que le pont Tumbo était bloqué, sans possibilité d’accès à Kaloum. L’affaire semblait très sérieuse cette fois-ci, contrairement aux escarmouches du 20 mars et du 16 octobre 2020. C’est par la suite que nous avons suivi l’annonce du coup d’Etat par le colonel Mamadi Dumbuya et la capture du dictateur. Pour qui observait bien la situation socio-politique et surtout la grave crise sociale qui tenaillait le pays, avec cette inflation galopante qui aggravait la misère de très large couches de la population, avec un gouvernement réduit à néant par un dictateur impénitent, suffisant et arrogant, toutes les activités pratiquement à l’arrêt, tout pouvait arriver, n’importe quand. Mais Alfa Konde ne savait pas que face à son échec cuisant, il n’était plus qu’un tigre en papier.
Depuis toujours, notre peuple n’a connu que la dictature, l’oppression et la mal gouvernance. La situation politique, sociale et économique du pays était telle qu’il ne pouvait y avoir d’autre issue que ce coup d’Etat.
Le CNRD a pris le pouvoir. Il suspend la constitution, il dissout toutes les institutions. Les anciens ministres et présidents d’institutions sont interdits de voyage. Comment vous trouvez cela ?
Je crois que c’est tout à fait logique, sinon ce ne serait qu’une simple révolution de palais. Vous me permettrez de rappeler que nous avons toujours dénoncé ce système dictatorial fait d’institutions budgétivores toutes entièrement factices et inféodées au dictateur. Il faut mettre en place des institutions réellement indépendantes, soucieuses de l’intérêt général et qui reflètent la composition socio-politique du pays. Les institutions républicaines doivent être au service de l’Etat de droit et jouer effectivement leur rôle de contrepoids sérieux face au pouvoir exécutif. Jusque-là ce n’étaient que des instruments de la dictature. Je ne crois pas que le peuple pleurera la disparition de ces institutions car elles ne lui servaient à rien.
Après avoir entendu le colonel Mamady Doumbouya et les décisions prises par le CNRD, est-ce que vous faites confiance aux nouvelles autorités du pays ?
Nous avons suivi et bien apprécié les déclarations du CNRD, surtout que celles-ci reflétaient des préoccupations que nous n’avons cessé d’exprimer depuis des dizaines d’années qu’existe l’UFD dans l’arène politique. Il a touchés aux maux profonds et séculaires de la Guinée. Mieux, les premiers actes pris sont en accord avec leurs déclarations d’intention, ce qui est très important. A cet égard, il faut dire que la remise en liberté des prisonniers politiques dans un cadre parfaitement ordonné, en respectant les règles de l’Etat de droit, nous a beaucoup touché, car ce geste dénote la sincérité des nouvelles autorités. Nous espérons qu’elles continueront sans faiblir sur cette voie qui devrait nous permettre d’ouvrir une belle page de l’histoire de notre pauvre pays ruiné par 63 ans de dictatures, de tueries, de corruption et de misère pour le peuple. Peut-être que le CNRD réussira-t-il à nous faire oublier l’échec cuisant des deux premières transitions de 1984 et 2009.
La CEDEAO a suspendu la Guinée de ses instances. Est-ce qu’il faut s’attendre à des conséquences ?
Je pense que la CEDEAO que méprisait royalement Alfa Konde n’a pris que des sanctions politiques de principe contre la Guinée, c’est-à-dire le minimum, compte tenu de la charte interdisant les changements politiques par des coups de force. Nous savons tous que son pouvoir a toujours refusé d’appliquer les décisions de la CEDEAO et a cherché à l’instrumentaliser, au service de son pouvoir dictatorial. Donc moi, je ne suis pas du tout inquiet par rapport à ces décisions des organismes régionaux ou panafricains.
Des chefs d’Etat appellent à la libération du président Alpha Condé. Quelle est votre position ?
C’est normal qu’ils lancent un tel appel. C’est de bonne guerre, car c’est un membre de leur syndicat qui est tombé. A qui le tour ?
Quel appel avez-vous à l’endroit des nouvelles autorités, mais aussi aux citoyens guinéens ?
La seule chose qu’on doit leur dire, c’est de tout faire pour résister aux manœuvres et aux pressions multiformes de l’ancien système, pour leur faire dévier de la voie qu’il ont choisie, celle du changement véritable, comme ce fut le cas surtout Moussa Dadis Camara qui a fini par sombrer et faire plonger le pays dans un régime pire que celui du Général Lansana Conté. Les nouveaux dirigeants doivent savoir qu’ils ne pourront pas tromper le peuple sans retomber dans ce qui a motivé la chute des régimes précédents depuis 1958.
Sortir la Guinée de ce système séculaire ethniciste, corrompu et destructeur, exigera beaucoup de sacrifices et d’initiatives hardies de la part des dirigeants et de toutes les forces vives du pays. C’est à cette condition qu’on évitera cette fois encore le faux départ et l’éternel recommencement et mettre définitivement le pays sur la voie du développement harmonieux, pour le bonheur du peuple de Guinée martyrisé et réduit à la famine par ses élites.
Interview réalisée par Amadou Sadjo Diallo