PORTRAIT. Curieux destin que celui de cet octogénaire, ancien opposant, élu démocratiquement et qui, à la faveur d’une nouvelle Constitution, s’est accroché au pouvoir.

Si Alpha Condé était alors auréolé de son image d’opposant acquise après des décennies de lutte, il est accusé 10 ans plus tard d’avoir plongé son pays dans la crise pour rester au pouvoir en faisant adopter une nouvelle Constitution.

 

Qui est Alpha Condé, le président guinéen que des militaires putschistes affirment avoir capturé ? « La Guinée is back ! » lançait tout en haut de la tribune Alpha Condé pour son discours d’investiture de nouveau président de la Guinée, le 21 décembre 2010. Il devenait alors le tout premier dirigeant démocratiquement élu de cette ex-colonie française, seul pays d’Afrique francophone à avoir rejeté en 1958 la communauté franco-africaine proposée par le président français Charles de Gaulle. Le pays opte pour l’indépendance et n’a cessé, dès lors, d’aller à rebours sur le chemin de la démocratie et du respect des droits de l’homme.

Une première élection historique

Alpha Condé en a fait les frais. Condamné à mort sous le régime de Sékou Touré, le père de l’indépendance, il avait ensuite été emprisonné durant plus de deux ans sous le règne du général Lansana Conté. Car la Guinée a été dirigée pendant des décennies par des régimes autoritaires, voire dictatoriaux, qu’il s’agisse de Sékou Touré ou de son successeur Lansana Conté, au pouvoir jusqu’à sa mort en 2008. Clin d’œil de l’histoire : c’est justement devant le magistrat qui avait fait condamner Alpha Condé en 2000 à cinq ans de réclusion criminelle « pour atteinte à la sûreté de l’État », le président de la Cour suprême Mamadou Sylla, que le nouveau président avait prêté serment, au palais du peuple à Conakry, cette année-là. Sa victoire et cette fierté retrouvée des Guinéens, le « professeur Condé », comme il aime à se faire appeler, les doit largement à l’attitude historique de son principal rival, Cellou Dalein Diallo, qui avait très vite reconnu sa défaite. « L’attachement à la paix et à la Guinée une et indivisible nous commande d’étouffer notre frustration et nos souffrances pour rester calmes et sereins et d’éviter toute forme de violence. La victoire et la défaite sont constitutives de la vie, comme nous l’enseigne la religion », avait déclaré Diallo. « Contenons notre amertume électorale par la légitime fierté de représenter, malgré les fraudes et les répressions, près de la moitié des suffrages validés », avait-il conclu.

Si Alpha Condé était alors auréolé de son image d’opposant acquise après des décennies de lutte, il est accusé 10 ans plus tard d’avoir plongé son pays dans la crise pour rester au pouvoir en faisant adopter une nouvelle Constitution.

 « C’est extraordinaire que je sois considéré comme un dictateur »

À 83 ans, cet homme encore svelte, qui boite légèrement, se présente comme un modernisateur, opposé à l’excision et aux mariages forcés. Il avait d’ailleurs choisi, début septembre, de s’adresser aux femmes de son parti pour officialiser sa candidature. « Moi, je suis le candidat des femmes et des jeunes », a-t-il assuré. « Je me suis battu pendant quarante-cinq ans, j’étais opposant, mes adversaires sont des fonctionnaires qui sont devenus Premiers ministres après avoir mis le pays à terre. C’est extraordinaire que je sois considéré comme un dictateur antidémocrate ! » a-t-il lancé, agacé, sur France 24 et RFI.

Il vante aussi son bilan : réalisation de barrages hydroélectriques, révision des contrats miniers et mise au pas de l’armée, alors que le pays a traversé la pire épidémie d’Ebola de l’histoire (décembre 2013-2016). Mais, malgré la richesse de son sous-sol, plus de la moitié de la population de Guinée vit sous le seuil de pauvreté, avec moins d’un euro par jour, selon l’ONU.

De l’opposition à la répression de l’opposition

Human Rights Watch dénonce pour sa part les conséquences désastreuses sur l’environnement et les populations de la « croissance fulgurante » de l’exploitation de la bauxite, principal minerai permettant la production d’aluminium, dont le pays détient les plus importantes réserves mondiales.

Se réclamant de la gauche, Alpha Condé est un orateur érudit, qui sait séduire son auditoire, mais il goûte peu la contradiction. « Je suis choqué de vous entendre dire que la Guinée n’a pas émergé, je suis choqué, franchement. Je suis choqué ! » a-t-il pesté tout au long d’une interview en 2018 à des médias français pour le 60e anniversaire de l’indépendance.

Sanguin, Alpha Condé l’est certainement, comme lorsqu’il réprimande des étudiants qui lui réclament les tablettes informatiques promises pour sa réélection en 2015. « Vous êtes comme des cabris : tablettes, tablettes ! » grince-t-il en sautant sur place à pieds joints.

Mais c’est surtout sa volonté intransigeante de doter le pays d’une nouvelle Constitution qui a divisé les Guinéens. Selon Amnesty International, la répression des manifestations de masse contre un troisième mandat a fait au moins 50 morts depuis octobre 2019. « Je ne prends pas Amnesty International au sérieux. Ils font des enquêtes à charge, des rapports unilatéraux », rétorque le président. Socialiste, il est l’un des derniers présidents africains formés « à la française », ami de Bernard Kouchner et de François Hollande.

Un destin qui se confond avec l’histoire de la Guinée

Le destin d’Alpha Condé prend sa source à Boké, en Guinée maritime, le 4 mars 1938, au sein d’une famille de commerçants malinkés plutôt aisés. De longues années d’opposition en exil, la prison, une accession quasi miraculeuse au pouvoir et deux mandats présidentiels ont forgé son caractère.

Il part en France dès l’âge de 15 ans et y obtient des diplômes en économie, en droit et en sociologie. Il enseigne ensuite à l’université parisienne de la Sorbonne. Parallèlement, il dirige dans les années 1960 la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) et anime des mouvements d’opposition au régime dictatorial d’Ahmed Sékou Touré, « père de l’indépendance » de la Guinée, qui le fait condamner à mort par contumace en 1970.

Il rentre au pays en 1991, sept ans après la mort de Sékou Touré, auquel a succédé l’officier Lansana Conté. Aux présidentielles de 1993 et 1998, ni libres ni transparentes, Condé est officiellement crédité de 27 % et de 18 % des voix. Il inquiète néanmoins Lansana Conté, qui le fait arrêter après la présidentielle de 1998 et condamner en 2000 à cinq ans de prison. Sous la pression internationale, il est gracié en 2001. Il reste dans l’opposition après l’avènement de la junte du capitaine Moussa Dadis Camara en 2008.

En 2010, le « professeur Alpha Condé » – marié trois fois et père d’un garçon – est enfin élu, au second tour, après avoir été très nettement distancé au premier par l’ex-Premier ministre Cellou Dalein Diallo. En 2015, il est réélu au premier tour, loin devant son principal opposant, Cellou Dalein Diallo, qu’il bat à nouveau très largement dès le 1er tour le 18 octobre 2020, selon les résultats officiels contestés par ses adversaires. En juillet, un élu local de Conakry passé du parti au pouvoir à l’opposition a été condamné à trois ans et quatre mois de prison ferme pour « offense au chef de l’État » après avoir déclaré que seules les armes pourraient le chasser du pouvoir.

La fin apparente de plus de dix années de régime Condé a donné lieu à des scènes de liesse dans différents quartiers de la capitale. La faible résistance rencontrée par les auteurs du coup d’État semble également confirmer le profond isolement du président Condé.

Par Le Point Afrique

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