Des “Taliban 2.0” ? Vingt ans après leur éviction d’Afghanistan, les Taliban ont repris le pouvoir et tentent de véhiculer une image plus modérée, maniant habilement les réseaux sociaux et les négociations diplomatiques. Mais le profil des personnalités au sommet de la hiérarchie talibane n’a guère changé depuis 1996. Entre vétérans et “fils de”, les Taliban d’aujourd’hui s’inscrivent dans la continuité de ceux d’hier. France 24 dresse leur portrait.
Haibatullah Akhundzada : le commandant suprême
Le mollah Akhundzada, Taliban de la première heure, est le troisième dirigeant du mouvement depuis la création de celui-ci. Il a acquis le titre de commandant suprême en mai 2016, après la mort de son prédécesseur, Akhtar Mansour, tué lors d’une attaque de drone. Le chef d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, lui a immédiatement apporté son soutien, le saluant comme un “émir des croyants”. Un titre qui lui apporte une crédibilité au sein de l’univers jihadiste au-delà des frontières afghanes.
Haibatullah Akhundzada est né en 1961, dans la province de Kandahar, berceau des Taliban. Après l’invasion soviétique de l’Afghanistan, sa famille émigre au Pakistan où il poursuit des études en théologie. Et c’est en tant que juge religieux qu’il se fait connaître auprès des Taliban. Il est l’un de leurs premiers membres lorsque ceux-ci émergent en tant que milice islamiste dans le sud de l’Afghanistan, en 1994.
Il prend alors la tête des tribunaux religieux, où il fait appliquer une charia stricte. Haibatullah Akhundzada contribuera à imposer au peuple afghan une interprétation cruelle et fondamentaliste de la loi islamique sous le pouvoir des Taliban, entre 1996 à 2001.
À la tête du mouvement taliban, le mollah Akhundzada joue avant tout un rôle religieux, davantage symbolique qu’opérationnel, selon plusieurs analystes. Même si, en tant que commandant suprême, il a le dernier mot sur les affaires politiques et militaires.
Son passé à la tête de la justice talibane fait de lui un chef tout trouvé pour unir les membres du mouvement autour d’une application stricte de la charia, un modèle de société dont il a été le garant pendant des années.
Abdul Ghani Baradar : responsable politique et premier adjoint
Le mollah Baradar figure au sommet de la hiérarchie des trois adjoints d’Akhundzada. Ce cinquantenaire fait partie des proches de Mohammad Omar, avec qui il est lié d’amitié depuis l’adolescence. Après avoir combattu les Soviétiques en tant que bras droit du mollah Omar dans un bataillon de moudjahidines, Abdul Ghani Baradar a rejoint son ami pour fonder les Taliban en 1994.
Il est un acteur de premier plan de la célèbre “Shura de Quetta”, un groupe de vétérans du régime taliban dirigeant des opérations depuis le territoire pakistanais après l’invasion américaine de 2001 qui a renversé les islamistes afghans.
Abdul Ghani Baradar était le chef militaire des Taliban quand il a été arrêté en 2010 à Karachi, au Pakistan. Il a été libéré en 2018, sous la pression de Washington. Peu après, il s’est rendu au Qatar pour diriger les bureaux diplomatiques des Taliban. À ce poste, il a conduit les négociations de Doha avec les Américains menant au retrait des forces étrangères d’Afghanistan.
Mohammad Yaqoub : chef militaire et adjoint au commandement
Fils du mollah Omar, Mohammad Yaqoub est le plus jeune des trois dirigeants adjoints des Taliban. Il incarne la jeune génération qui a peu ou pas connu le premire règne des Taliban en Afghanistan, dans les années 1990-2000. Ce trentenaire dirige la puissante commission militaire du mouvement, qui a décidé des orientations stratégiques dans la guerre contre le gouvernement afghan.
Comme son père, qui faisait l’objet d’un véritable culte en tant que chef des Taliban, il fait office de figure unificatrice au sein d’un mouvement très divers. Mohammad Yaqoub aurait d’ailleurs été pressenti un temps comme commandant suprême après la mort du mollah Mansour, en 2016. Mais le mollah Akhundzada lui aurait été préféré, car le fils du mollah Omar aurait été jugé trop inexpérimenté à l’époque.
Ce ne serait plus le cas désormais. Il a été choisi pour remplacer temporairement Haibatullah Akhundzada lorsque le commandant suprême a contracté le Covid-19 en mai 2020, selon une personnalité talibane de haut rang citée par Foreign Policy.
Sirajuddin Haqqani : chef du réseau Haqqani et adjoint au commandement
Lui aussi est un “fils de”. Sirajuddin Haqqani, qui serait âgé d’une quarantaine d’années aujourd’hui, est le chef du réseau Haqqani, un groupe jihadiste lié à Al-Qaïda et fondé par son père, Jalaluddin, dans les années 1980, lors de la guerre contre l’URSS. Après le retrait russe, Jalaluddin Haqqani entretient des liens étroits avec des jihadistes étrangers, dont Oussama ben Laden.
Très tôt, dès 1995, le père Haqqani prête allégeance aux Taliban et combat les États-Unis et leurs alliés à partir de 2001. Le réseau Haqqani gère également les moyens militaires des Taliban dans leurs bases situées le long de la frontière avec le Pakistan.
Sirajuddin est devenu le chef du réseau Haqqani après la mort de Jalaluddin, en 2018. Il figure sur la liste des suspects les plus recherchés du FBI, qui le décrit comme “armé et dangereux”.
Le groupe jihadiste a été accusé d’une série d’attaques terroristes en Afghanistan – notamment l’attaque meurtrière de l’hôtel Serena à Kaboul en 2008, pour laquelle Sirajuddin Haqqani a admis sa responsabilité. Grâce à sa puissance financière et militaire et sa réputation sanglante, le réseau Haqqani est considéré comme semi-autonome tout en étant dans le giron des Taliban.
Le groupe, qui utilise fréquemment des kamikazes, a énormément contribué aux avancées des Taliban, dont ils sont les “forces les plus prêtes au combat”, selon un rapport de l’ONU publié en juin. Dans ce même rapport, le réseau armé est qualifié de “principal lien” entre les Taliban et Al-Qaïda.
Toutefois, peu avant la signature de l’accord de Doha avec les Américains, Sirajuddin Haqqani a souhaité présenter les Taliban sous un nouveau jour. Il a écrit un article d’opinion pour le New York Times en février 2020 dans lequel il a déclaré qu’il était “convaincu que les meurtres et les mutilations doivent cesser”. Une tribune moquée par les analystes, qui ont estimé qu’il faisait preuve de mauvaise foi.