« Il faut libérer sans condition les prisonniers politiques… Alpha Condé a semé la terreur et n’hésite plus à narguer les Guinéens en brandissant la menace de Coronthie. C’est un recul extraordinaire pour la Guinée. Car, au moment où il était dans l’opposition, Alpha Condé a tenu des propos et fait des choses beaucoup plus graves que ce que disent ou font ses opposants à lui. »
Absent du pays depuis décembre 2020, l’opposant Mohamed Tall semble très préoccupé par la situation sociopolitique actuelle de la Guinée. Dans un entretien accordé à Guinéenews, l’ancien ministre de l’Elevage désapprouve la gestion du dossier des détenus politiques et propose une esquisse de solution à la crise politique que traverse le pays depuis bien longtemps. Lisez !
Guinéenews : même en séjour prolongé à l’étranger, vous devez suivre de près l’actualité guinéenne. Quel est votre regard sur les derniers développements ?
Mohamed Tall : en effet, je suis de près l’actualité guinéenne et fort malheureusement, la situation ne s’améliore pas du tout. L’administration est complètement paralysée car elle ne dispose d’aucun moyen pour travailler. Tout est centralisé à la Présidence et les agents publics font de la figuration. Tout le monde se plaint de cette situation. Elle est d’autant plus grave que dans un pays comme la Guinée où l’État est le principal opérateur économique, le fait que rien ne se passe au niveau de l’administration a des répercussions sur l’ensemble de l’économie et nos concitoyens en seront les premières victimes. En dépit de toutes les promesses ou résolutions prises au lendemain de la mascarade électorale de mars 2020, les détournements continuent et les caisses de l’État sont vides. Pour les remplir, le pouvoir guinéen a décidé d’augmenter les impôts et taxes, ce qui pèse énormément sur les opérateurs économiques qui répercutent ces augmentations sur les prix. Au final, vous voyez bien que ce sont les consommateurs, c’est-à-dire les citoyens guinéens qui payent la facture de la gabegie organisée au sommet de l’État. C’est une situation qui n’est pas viable. Pour tenir, le régime a restreint les libertés à tel point que toute voix discordante aujourd’hui est réprimée. Alpha Condé a semé la terreur et n’hésite plus à narguer les Guinéens en brandissant la menace de Coronthie. C’est un recul extraordinaire pour la Guinée car au moment où Alpha Condé était dans l’opposition, il a tenu des propos et fait des choses beaucoup plus graves que ce que disent ou font ses opposants à lui.
Guinéenews: la semi-liberté accordée aux quatre responsables de l’Ufdg est accueillie avec beaucoup d’appréhension. Notamment à cause des autres restés en prison, sans oublier que les arrestations se poursuivent. Qu’en pensez-vous ?
Mohamed Tall : je me réjouis de ces libérations même si elles sont conditionnelles. Je déplore simplement le fait qu’on ait pu interpeller et détenir arbitrairement pendant au moins 8 mois des responsables politiques qui n’ont rien fait d’autre que de s’opposer au troisième mandat. Après autant de temps de privation de liberté, on ne peut pas nous dire que l’histoire va se solder de cette manière en nous faisant croire à une prétendue magnanimité du Chef de l’État. En outre, ce qui est reproché aux personnes récemment libérées est suffisamment grave pour que la vérité soit établie sur leur cas. La déstabilisation de l’ordre public ou la fabrication d’armes sont des accusations qui sont suffisamment graves et les Guinéens sont en droit de connaître la vérité. La seule manière aurait été d’avoir un procès équitable, contradictoire qui aurait permis aux accusés de se défendre. Mais, comme le dossier était complètement vide, le pouvoir évite d’organiser un procès en bonne et due forme. Le dossier est politique et c’est le moyen que Alpha Condé a trouvé pour tenter de faire taire l’opposition.
Pendant que ces 4 sont libérés, plusieurs autres dont FONIKE MANGUE et ÉTIENNE SOROPOGUI continuent de croupir injustement en prison. Le cas d’Etienne est très révélateur du caractère politique de ces arrestations. Il a été arrêté au même moment et pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d’être libérés. On ne comprend pas pourquoi il continue à être détenu en prison. Quant à FONIKE, il a été interpellé alors qu’il était sur une moto pour des motifs farfelus. Nous savons les pressions qu’il a subies pour qu’il abandonne le combat contre le troisième mandat et le régime dictatorial qui a plongé les guinéens dans la misère. Les deux sont en train de payer le fait de rester fermés sur leurs convictions. C’est quelque chose qui est inadmissible et insupportable.
Guinéenews : à votre avis, qu’est-ce qu’il faut pour une vraie décrispation du paysage politique guinéen ?
Mohamed Tall : la première chose à faire est de libérer sans condition les prisonniers politiques. Ensuite, il faudrait laisser les acteurs politiques, les leaders et tous les autres libres de leurs mouvements et laisser les partis politiques exercer librement leurs activités. Enfin, sur la base d’une réelle volonté politique, ouvrir un vrai dialogue politique. Mais, vu la tournure que prennent les choses, on est loin de tout cela. C’est malheureux pour nous guinéens.
Guinéenews : parmi les schémas de sortie de crise, il y a le cadre de dialogue permanent d’un côté et la réconciliation nationale dont le processus semble être bloqué. Lequel vous paraît efficace pour la situation guinéenne ?
Mohamed Tall : nous assistons à du cinéma pur et simple. Le problème est celui de la crédibilité du pouvoir. Plus personne n’a confiance dans le régime guinéen. La volonté politique manque.
Guinéenews : qu’est-ce qu’on peut attendre de l’UFR dans le cadre d’un processus de décrispation générale et pérenne ?
Mohamed Tall : l’UFR est un parti qui est attaché à l’unité nationale et à la paix sociale. C’est un parti qui peut, grâce aux qualités de son leader, apporter également le bien être aux Guinéens. L’UFR et son Président ont très tôt recommandé le dialogue mais malheureusement, au lieu de saisir cette opportunité pour ouvrir un dialogue sincère et structuré, le pouvoir en place a fermé tous les espaces de liberté. Je crois qu’il est impératif pour les Guinéens de continuer le combat pour l’alternance afin de mettre le pays sur le chemin du progrès.
Guinéenews : on a parlé de tout sauf de vous, alors que votre séjour à l’étranger se prolonge après un départ dans des conditions du moins mouvementées. Qu’est-ce qui explique ce séjour prolongé ?
Mohamed Tall : en plus de la situation générale du pays, vous avez rappelé les conditions dans lesquelles j’ai quitté le pays. Sans compter les informations que j’ai eues récemment mais que je ne souhaite pas aborder pour le moment…
Entretien réalisé par Thierno Souleymane Diallo